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J'ai cris - J'écris

J'ai cris - J'écris

J'ai cris... J'écris... depuis bien longtemps... Jamais publiée... jamais dans "la ligne éditoriale"... Mauvaise, alors ?.. peut-être... ou pas... Voici donc quelques textes venus de mon cœur, de mon âme, et puis de mon travail aussi, stylo et clavier... A vous de décider ce que vous en pensez !


SITES ET RENCONTRE

Publié par Cat L sur 19 Février 2023, 17:09pm

LES SITES DE RENCONTRES

 

Les sites de rencontres sont des lieux étonnants où l'on croise de bien curieux spécimens de l'humanité.

 

Les sites gratuits sont sans doute les plus généreux en personnages étranges.

On découvre là que l'homme brandissant triomphalement un gros poisson pense avoir trouvé l'argument séducteur de choc, que la pose tout torse dehors devant une piscine devrait déclencher un coup de foudre immédiat, que s'immortaliser devant une grosse moto ou une voiture de luxe avec une allure mensongère de propriétaire radieux devrait mener madame à la pâmoison... etc... Autrement dit, on y comprend tout le rudimentaire de la pensée masculine quant à l'art pourtant délicat de la séduction !

Je parle de la pensée masculine, parce que je suis une femme, et que donc j'ignore ce que les dames, en général, donnent à voir d'elles et de leurs manœuvres sur les mêmes sites... mais tout porte à croire, et quelques amis en témoignent, que ce n'est pas beaucoup plus élaboré...

 

Pourtant, tout cela repose sur un rêve tout simple, nourri à grands renforts de contes de fées, de romans-photos et autres soap-operas, le rêve de l'amour toujours, de l'amour possible, de l'amour retrouvé, en trois mots de l'amour.

 

Et, sur ce chapitre, midinettes et grands intellectuels ne sont pas si différents.

Le grand intellectuel préférera le site payant, son poisson sera une superbe bibliothèque, plutôt que le torse il montrera une mèche rebelle mais éloquente, et la grosse moto sera la sienne... Au fond, il s'agit bien de la même parade de roue de paons.

 

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PAUL

 

Paul a déposé une annonce sur un site de rencontres « alternatif ».

 

S'inscrivent là des bobos bio, mais aussi des gens qui préfèrent tout simplement éviter l'autoroute du site amoureux pour lui préférer des vicinales champêtres.

Premier inconvénient du site, le faible nombre d'inscrits.

Premier avantage, c'est gratuit ou très peu cher. Deuxième avantage, qui pourrait être le premier, point ici de poissons exhibés ni de torses velus sur horizon piscine, ni leurs équivalents chez les dames.

 

Un bon point pour Paul dont les rêves sont romantiques et ruraux.

 

Paul a vécu longtemps avec Marie-Ange. Lui ébéniste et elle tapissière, ils ont inventé un atelier de création plus artistique qu'artisanal.

Il créait des meubles délicats qu'elle habillait en couleurs.

 

Marie-Ange est partie il y a trois ans. Happée par une autre histoire et le bras d'un citadin à la mèche éloquente.

Paul en est resté abasourdi. En plus d'être malheureux.

Il a pleuré, beaucoup, dans l'atelier, dans son lit, dans la forêt voisine.

Mais il est toujours resté souriant pour les clients, les voisins, les amis, avec juste parfois un soupir « c'est la vie ».

 

 

Paul est nul en modernité.

Il a un téléphone pour téléphoner, sur lequel il refuse obstinément d'installer internet.

Il s'est inscrit sur Facebook il y a six mois, parce que Marie-Noëlle, la femme de Bernard et une amie chère, l'avait convaincu de s'essayer à une vie sociale moderne, mais il ne comprend rien de ce qui y est attendu de lui.

Le site de l'atelier existe, mais c'était l'oeuvre de Marie-Ange et il n'y a rien changé depuis trois ans, faute d'avoir la moindre idée des modalités de sa gestion.

 

Alors, le site de rencontres, vous pensez ! Mais, ici aussi, Marie-Noëlle avait su être convaincante... Si peu de gens dans nos campagnes, au fond c'est toujours une histoire de rencontre comme ça ou autrement, tu vas te décider à revivre nom de dieu...

Il y a posé une photo, la même que sur Facebook, deux phrases laconiques avec l'humour minimum requis, et voilà.

Ensuite, il a oublié son mot de passe, bien sûr.

Et pas que le mot de passe... Il a aussi oublié l'inscription !.. Le prélèvement bancaire se faisait automatiquement et Paul n'était pas très doué pour suivre ses relevés de compte personnels, encombré qu'il était déjà de la comptabilité obligatoire de son entreprise.

 

Il faut dire que l'été, pour Paul, n'est pas propice à la villégiature amoureuse, même virtuelle, car son atelier se trouve dans un village d'artisans, bien en-dessous de la Loire, où la saison estivale amène moult touristes et donc bien du travail.

Vivre du métier d'ébéniste n'est pas chose aisée, sauf à être acoquiné avec les Monuments de France ou la haute bourgeoisie du cru, et Paul n'a pas ces entregents. De juin à septembre, c'est donc pour lui le temps du labeur, entre ventes et commandes à honorer.

Il aime son métier. Ses mains lui semblent sœurs du bois qu'il travaille, pour lui elles ont la douceur de l'amoureux et la certitude du professionnel.

Paul peut passer des heures à réfléchir à un nouveau mécanisme pour le tiroir caché d'un secrétaire ou à la marqueterie à inventer pour une table basse. Puis des heures à réaliser. Patient, infiniment, face à l'ouvrage, quand il ne l'est pas tant dans les embouteillages ou dans la vie tout simplement.

Alors, de juin à septembre, il réfléchit et il œuvre, au milieu des copeaux odorants et des bidons de vernis parfumés. Le soir, ses vêtements et ses cheveux sont imprégnés de ces parfums... et Marie-Ange adorait ça... mais Marie-Ange n'est plus là, alors il file à la douche dès l'atelier quitté, souvent à la nuit noire.

Alors, le site, pensez donc, il l'a oublié, et Facebook avec !

 

Arrive la fin octobre. Les étoiles au ciel de nuit sont un peu plus tranchantes. Les touristes ont regagné leurs centres-villes et leurs bureaux climatisés. La chouette hulule en paix.

 

Bernard et Marie-Noëlle se sont moqués de Paul l'autre soir à l'apéro, quant au ridicule de n'avoir sur Facebook que deux photos, une pour le profil et l'autre pour la couverture, et puis rien d'autre.

Alors, Paul a pris une grande décision et il a demandé à Bernard de lui offrir quelques heures de son temps.

Tous deux se sont assis devant l'ordinateur, Bernard prêt à toutes les patiences et Paul muni de la meilleure volonté du monde.

Bien heureusement, la machine avait enregistré le nécessaire.

Ca n'a pas été facile, ça n'a pas été rapide, ça n'a pas toujours été serein, mais, au soir tombant, Paul avait un profil comportant des photos, notamment de ses créations, et des publications, le plus souvent musicales lorsqu'elles n'étaient pas dédiées aux travaux manuels. Et il avait posté une douzaine de demandes d'amis.

Alors, Bernard a souri et déclaré « Je reviens demain pour le site de rencontres ».

 

Le lendemain, Paul était grincheux. Pas sûr de vouloir réussir à ranimer son inscription, et moins encore de vouloir chercher l'amour derrière un écran. Il a essayé toutes les bonnes raisons de renoncer, puis les mauvais alibis... mais Bernard a fait fi du tout, il a utilisé le fameux « J'ai oublié mon mot de passe », a passé au crible les dossiers photo de l'ordinateur pour dénicher trois clichés plutôt flatteurs, et a commencé à rédiger un texte de présentation exprimant à la fois les réticences de son ami et sa parfaite solitude amoureuse.

Quelques clics plus tard, le profil était en ligne et les critères de recherche étaient enregistrés.

 

Paul s'est essayé le soir même à la découverte.

Au tout début, il ne savait pas du tout quoi faire, comme tétanisé devant le défilé des photos féminines.

Tous ces visages et ces corps, tout de même offerts comme à la parade, lui semblaient une denrée étrange, étrangère et très au-dessus de ses moyens.

 

Il avait tort. De leur côté, plusieurs de ces dames avaient déjà été séduites par le regard noir et les mains d'artiste sur fond d'atelier et de jardin sauvage.

Paul eut donc la surprise de recevoir ses premiers « likes », puis un vrai message, signé Louise, qui lui proposait de faire connaissance.

 

Paul est ébéniste. Pas écrivain. C'est ce qu'il s'est dit alors. Pas écrivain, et même pas très doué pour les mots, en fait.

Il s'est détesté d'avoir accepté cette inscription, d'avoir cédé aux grandes envolées conseilleuses de ses amis.

Puis il a respiré un grand coup, a tendu ses deux index vers le clavier, et il a répondu.

Ce fut une réponse modeste mais qui, au fond, ainsi lui ressemblait.

« Merci, pourquoi pas, je ne sais pas trop faire ni comment m'y prendre. »

 

Alors, Louise a pris les choses en main, comme souvent le font les femmes face à ces gros balourds de garçons.

 

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LOUISE

 

Louise est une petite femme délicate mais solide, sage-femme de son état, ancrée donc dans le réel du sang, des cris, des larmes et des grands bonheurs.

Elle mène sa vie comme un accouchement. Hop hop hop, on respire, tenez bon madame, on va y arriver, on respire encore, voilà on y est, bravo vous avez réussi.

Du coup, la vie de Louise, si elle a, comme toute vie, connu des moments difficiles, est une vie dont elle se dit globalement satisfaite, se sentant beaucoup plus intéressante à 55 ans qu'elle ne pensait l'être à 20, 30 ou 40 ans.

 

Louise a un fils, issu de son premier mariage, qui s'appelle Julien, qui a 31 ans, une épouse, des jumeaux de 18 mois et un emploi de chef de rayon dans un magasin de pièces détachées.

Louise a quitté le père de Julien un soir d'hiver, après la dispute de trop où, pour la première fois, de solides gifles l'avaient mise au sol. L'enfant avait trois ans.

Cinq ans plus tard, elle a épousé, sans passion mais avec beaucoup de tendresse et de raison, Robert, un bien gentil garçon, charcutier-traiteur, qui a eu la mauvaise idée de décéder l'année suivante dans un très stupide accident de voiture n'impliquant que lui et le seul platane sur la route de Potier.

Louise, qui avait à peine eu le temps de voir en lui un mari et surtout un amour, s'est installée dans un veuvage, qui, au fil du temps, est devenu célibat.

Elle a élevé son fils en lui inculquant, parfois avec sévérité mais toujours avec amour, de solides valeurs républicaines et laïques.

 

Louise, depuis la mort de son époux, a eu quelques aventures, toujours avec des collègues de l'hôpital. Elle a parfois espéré que l'histoire d'un soir puisse devenir l'amour de toujours, mais sans que jamais cela ne fonctionne, six mois de relation étant même son record absolu de durée amoureuse pendant ces 22 dernières années.

Alors, elle s'est dit que l'hôpital n'était pas un lieu d'amour pour elle, et que toute autre solution mériterait d'être essayée.

Elle a pris des cours de danse et participé à tous les thés dansants de son association, elle n'y a trouvé que des amis.

Elle s'est inscrite à des cours d'espagnol et a même fait le voyage en bus à Madrid, elle n'en a ramené que des souvenirs de pacotille.

Elle s'est donc lancée sur les sites de rencontres.

 

Durant ces 5 dernières années, Louise a testé plusieurs sites.

Sur le tout premier, elle a cru que la case « recherche amitié » signifiait « recherche amitié », avant de découvrir que pas du tout, du tout.

Elle a toujours refusé de payer ce qu'elle estime une petite fortune pour une inscription et, selon les sites, elle a découvert les diverses entraves à la recherche pour les radins comme elle.

Elle a ri devant les gros poissons et les énormes motos, elle a presque pleuré devant les attentes folles.

Et puis elle a trouvé un site alternatif, peu fourni mais semblant composé d'êtres humains ayant du moins quelques convictions, plus ou moins chevillées au corps.

 

Elle s'est appliquée à écrire un long texte de présentation qui décrive au mieux sa personne et ses attentes. Elle y a parlé de déceptions passées, d'illusions perdues, mais aussi d'espoir tenace et de rêve têtu. Elle y a dessiné un homme tout simple mais tendre et très sincère, fiable et drôle.

 

Bien sûr, elle a été contactée par quelques hommes compliqués, souvent avec mèche avantageuse, par quelques aventuriers du sexe affichant la bannière du carpe diem, par de vrais laiderons se dépeignant en penseurs irrésistibles, par des gravures de mode dont la photo émanait de toute évidence d'une banque d'images, le lot habituel en quelque sorte.

 

Elle a cherché, aussi. Dans un périmètre de plus en plus large du fait du peu d'inscrits, et du très peu d'inscrits qu'on aurait pu imaginer tendres, sincères, fiables et drôles.

Elle a contacté Jean-Michel, Auguste, Colas et Paul, qu'elle trouvait tous, chacun à leur façon, assez charmants. Et elle a dit qu'elle quitterait le site quand ces quatre-là auraient répondu ou clairement refusé de répondre.

 

Auguste s'est avéré très évasif, très lointain, refusant tout échange un peu suivi et ne répondant que fort peu aux questions. Louise n'a jamais su pourquoi.

Jean-Michel n'a pas répondu du tout.

Colas s'est montré tout de suite très enthousiaste. Le profil de Louise décrivait, peu ou prou, son idéal féminin... les photos le séduisaient beaucoup, la petite femme délicate mais solide était le portrait exact de celle qu'il avait cherchée en vain jusqu'ici. Quant à lui, il le jurait, il était réputé parmi ses amis pour sa bonne humeur et ses blagues autant que pour sa fidélité, et son goût pour la tendresse avait été attesté par son ex-épouse avec qui il avait vécu trois ans.

 

Louise a trouvé Colas sympathique, elle a commencé à lui raconter sa petite vie de femme seule, de sage-femme, de mère inquiète, et elle l'a questionné sur ce qu'il avait vécu et ce qu'il vivait. Les déclarations de Colas se sont faites de plus en plus enflammées à chaque échange de messages. Chaque mot de Louise le plongeait dans le ravissement, chaque inquiétude faisait écho à ses propres angoisses, chaque découverte devenait aussi la sienne, chaque sourire lui réchauffait le cœur.

Sa vie à lui était tranquille, rythmée par son emploi de comptable et ses visites à sa vieille mère malade.

Louise s'est laissée séduire par cet enthousiasme qu'elle générait, cet amour qu'il lui promettait, cet élan, enfin, à elle réservé.

Elle a dit oui pour un rendez-vous.

 

Ils se sont retrouvés à la terrasse d'un bar du centre ville.

Colas était très en avance, Louise était ravissante dans sa robe bleue.

Elle s'est avancée vers sa table, il s'est levé un peu cérémonieusement... et puis il a fait un grand pas vers elle, l'a prise dans ses bras, et il a collé sa bouche sur la sienne, l'embrassant profondément.

 

Louise aurait voulu effacer ce moment, à peine était-il arrivé. Mais il s'était inscrit en elle.

Colas ne s'était nullement demandé si elle souhaitait un baiser, si vite, et si passionné. Elle détestait ça. Et sa langue était venu fouir sa bouche, c'était la charge de la brigade légère faite baiser. Louise s'était sentie fouillée, envahie, possédée. Elle en était ressortie essoufflée, étourdie et presque nauséeuse. Cela ne s'effacerait pas.

 

Colas s'était avéré, comme à peu près nous tous, paradoxal.

Dans sa vie personnelle, tout semblait figé dans une ritournelle bien rythmée. Avec Louise, il se voulait un chevalier prêt à toutes les audaces.

Hélas pour lui, Louise n'aimait ni la litanie des jours de Colas, ni l'embrasement agité dont il faisait preuve avec elle.

En trois rendez-vous, l'affaire fut entendue, et Louise rompit ce qui, pour elle, n'avait jamais commencé. Colas fut très malheureux, puis se réinscrivit sur le site et s'enflamma pour une Mélanie rousse et secrétaire.

 

Et puis vint la réponse de Paul.

 

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SE DECOUVRIR

 

Paul avait écrit une courte réponse un peu gauche, mais plutôt attendrissante pour cette petite bonne femme habituée à mener sa vie et à faire naître la vie. Un accouchement de plus à envisager, pourquoi pas, si l'amour pouvait être le nouveau-né ? Et puis Paul était la dernière chance qu'elle s'était octroyée, autant s'en saisir.

 

Louise écrivit donc un long courrier où elle dressait le bilan de sa vie et la forme de ses rêves, proposant à Paul d'en faire autant et l'encourageant à oser ainsi l'écrit. Elle lui suggérait aussi d'user de photos si cela lui convenait mieux.

 

Paul hésita longtemps. Mais un ébéniste ne laisse pas une pièce inachevée.

Il revit Bernard et Marie-Noëlle, débattit longuement avec eux de ce qu'il peut être convenable de dire et de la manière convenable de le faire.

Et puis il eut une idée, qui lui sembla proprement géniale. Après quelques phrases sur sa vie, qu'il retourna cent fois chacune avant de les écrire, il choisit des extraits de son livre d'amour préféré, Le Chevalier et la Reine de Christopher Franck, pour, lui sembla-t-il, se donner à voir bien mieux que ses propres mots n'auraient su le faire.

 

Louise adora cette idée, qui venait aussi lui confirmer que cet homme-là n'était sans doute pas tout à fait comme les autres, bienheureuse nouvelle après les découvertes précédentes.

Elle fouilla sa mémoire puis sa bibliothèque pour trouver une réponse à la hauteur. François Cheng lui parut le bon choix.

 

Ainsi s'établirent des échanges littéraires tendres et réguliers.

Paul avait peu de livres préférés, mais il les connaissait sur le bout des doigts et n'était ainsi jamais à court de phrases qu'il trouvait parfaites. Louise avait beaucoup lu et maîtrisait assez internet pour disposer d'un réservoir sans fin de citations.

Tous deux trouvaient la situation romantique et jolie.

Il s'y complurent durant plusieurs semaines.

Ils en avaient même oublié d'échanger les habituelles photos, moi dans mon potager, moi avec mon chat, moi au bord de la rivière et cetera.

Chaque courrier de l'un ravissait l'autre et les rapprochait un peu plus.

C'est alors que Paul commença pour Louise la création d'une bibliothèque comme on n'en avait jamais vu. On était en morte saison. Lorsqu'il n'écrivait pas ni ne peaufinait une de ses rares commandes, il échafaudait des plans et choisissait des essences de bois.

 

Dans le silence des ordinateurs, Paul et Louise se parlaient ainsi, avec les mots des autres, de cœur à cœur.

Ils avaient tous deux quitté le site de rencontres pour ne se consacrer qu'à cette correspondance étonnante et radieuse.

 

Cela dura assez longtemps pour que Paul pût terminer la bibliothèque.

 

Alors, évidemment, il fallut bien en arriver à la question de la rencontre.

Le lien semblait créé. La bibliothèque devait être livrée. Il allait ben falloir sortir des mots des autres et se rencontrer en vérité.

C'est Louise qui en parla la première, bien sûr. Mais Paul n'attendait que ça, à la fois encombré de sa bibliothèque et venu à bout de ses références littéraires.

 

Ils délibérèrent, somme toute, peu de temps avant d'arriver à la conclusion que Paul pouvait aller chez Louise avec la bibliothèque, et qu'ils prendraient un thé en discutant après avoir positionné la chose dans l'appartement.

Rendez-vous fut donc pris pour samedi 14H.

 

Louise fut éblouie par le meuble aux diverses essences de bois, chevillé à l'ancienne, asymétrique et pourtant équilibré, semblant autant un arbre attendant ses feuilles qu'une bibliothèque encore sans ses livres. Elle joignit les mains, la bouche arrondie d'émerveillement, et Paul la trouva désirable.

 

Ils s'assirent dans le petit salon, pas aussi empruntés qu'ils l'avaient craint tous deux, simplement côte à côte et tranquilles.

Le thé eut le temps de refroidir dans la théière avant qu'ils ne songent à le servir, tant ils étaient heureux de simplement se regarder en échangeant quelques phrases banales et jolies.

Et puis Louise, toute à l'intuition que ce serait encore une forme de communication, mit un CD dans la chaîne hifi, puis un autre. Brel succéda à Génésis, Dylan à Lavilliers, Louise et Paul se prirent la main et, côte à côte sur le canapé rose, dérivèrent paisiblement sur la musique.

De ce moment, ils parlèrent par artistes interposés, évoquant une chanson puis une autre, qui disaient si bien ce qu'ils ressentaient.

Ils virent que leurs goûts musicaux s'accordaient sans douleur. Paul était sans doute plus attiré par la chanson française, faute de bien manier la lange de Shakespeare, mais il était sensible aux mélodies de Cat Stevens, aux envolées de Jimy Hendrix, aux colères de U2.

Le temps dura longtemps, le thé fut bu froid, on passa à l'apéro sur un disque de Loreena McKennitt, et c'était bien.

L'alcool délia la langue de Paul et fit pétiller les yeux de Louise.

 

Elle se leva fermer les volets avant leur premier baiser.

 

Le seul chemin entre eux ne pouvait être que celui de la simplicité. Paul prit donc Louise dans ses bras sur Ferrat chantant Aragon, dans un mouvement très tendre... et elle bascula dans sa douceur, y mêlant la sienne et inventant pour Paul des baisers inédits, délicats, langoureux, passionnés, effleurés, de toutes les couleurs des baisers.... Et c'est King Crimson qui les accompagna jusqu'au lit puis jusqu'au plaisir.

 

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S'AIMER

 

Comme dans les contes de fées, Paul et Louise vécurent heureux très longtemps.

 

Il était trop tard pour des enfants communs, mais ils surent donner vie à leur famille raccommodée.

Julien, le fils de Louise, adopta Paul avec bonheur... et, sans doute, avec un peu de soulagement quant à l'accompagnement de sa mère dans la vieillesse qui bientôt viendrait.

 

Louise fut jusqu'à la fin de sa vie éblouie par les talents d'artisan de Paul.

Paul fut toute sa vie séduit par la vitalité de Louise.

Ensemble, ils inventèrent une vie toute douce mais aussi très rieuse.

 

     Les sites de rencontres sont-ils donc le lieu où trouver l'amour ?

Dans cette histoire-ci, oui... et dans quelques autres.

 

J'ai passé quelques temps sur ces sites.

Par épisodes, par moments, un site ou l'autre.

J'en ai gardé quelques amis magnifiques qui furent un temps le rêve de l'amour ou une tendresse vraie... quelques numéros de téléphone qui n'ont que peu servi et ne serviront plus... quelques erreurs et autres ratés...

Et puis une observation quasi entomologique de l'homme en perdition d'amour. Qui veut ici et maintenant la promesse du toujours sur une simple photo entraperçue et trois mots échangés de clavier à clavier.

Des hommes connus ou croisés sur ces sites m'ont décrit des choses tout aussi étranges du côté de leurs possibles prétendantes.

 

Alors, que dire ?

Peut-être juste qu'il nous faut rêver encore et toujours, accepter de ne rien savoir et d'oser la découverte, risquer, sourire, pleurer parfois... Et pourquoi pas sur internet ?...

Penser à Paul et Louise et se dire que, malgré tout, envers et contre toutes nos folies, le meilleur reste possible.

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