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J'ai cris - J'écris

J'ai cris - J'écris

J'ai cris... J'écris... depuis bien longtemps... Jamais publiée... jamais dans "la ligne éditoriale"... Mauvaise, alors ?.. peut-être... ou pas... Voici donc quelques textes venus de mon cœur, de mon âme, et puis de mon travail aussi, stylo et clavier... A vous de décider ce que vous en pensez !


LES NOTES BLEUES

Publié par Cat L sur 16 Juillet 2017, 15:00pm

La note s'élève. Je la regarde gagner le ciel. Bulle irisée. Légère. Note bleue.

Ainsi vit la musique.

Envolée.

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La femme garde les yeux baissés, paupières lourdes sur cœur plombé.

Elle s'est assise dans ce café sans trop savoir pourquoi. Semblant de chaleur peut-être.

Le temps ne lui pèse pas plus que le reste, ou pèse tout autant.

Elle a bu quatre cafés déjà. Brûlants. Acres un peu, sans sucre et sans tendresse. Et puis un arrière goût de sel, de larmes tues.

Elle entend vaguement le tohu-bohu du bar, chaises tirées et bousculées, conversations entrecroisées, cri parfois pour colorer le tout.

Ca sent fort l'humanité mêlée, le tabac froid, la vinasse dont la tâche séchera plus tard.

Elle se concentre sur ses mains. L'une, sous son menton, déteste le poids de sa tête et le fripé de son cou. L'autre, déposée sur la table, lisse sans fin, d'un doigt distrait, le formica presque froid.

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Peut-être un dieu farceur, sur quelque nuage, s'essaie parfois au passe-passe, happant des notes, se régalant de leur parfum.

Je le devine, sourire léger, gourmand de musique, impatient de la note suivante, passant un bout de langue sur ses lèvres pour en goûter le miel.

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La femme a sans doute beaucoup pleuré. On le lit sur les sillons de son visage, le gonflé des paupières, la pâleur de ses cernes.

Maintenant, l'oeil est sec, comme éteint, regard enfui.

Sa présence manifeste une absence irrémédiable, que chacun semble palper des cils à la voir ainsi, et alors s'en éloigne.

Nul ne lui parle.

Parfois, de loin en loin, la femme pousse un soupir ou murmure quelques mots pour elle-même. De toute la force de ce murmure, elle annihile le café et sa vie en désordre, s'éloigne de tous ceux-là qui s'agitent ici et approche un ailleurs qu'ils ignorent.

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Le musicien a mis longtemps à s'installer. Précautionneux. Méthodique. Paradoxe amusant d'une auto bondée de mille choses essentielles emmêlées et de l'organisation implacable et sensée des multiples branchements et réglages.

Il a essayé une guitare, une autre, le micro du chant. Ses doigts ont couru sur le manche, pas encore bien réveillés, sa voix râpait un peu sur les premiers mots.

Et puis, il a souri d'un air confiant et il est parti au bar tester la dernière bière.

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Et je devine l'oeil gourmand du dieu, ses gestes arrêtés dans l'attente.

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La femme, elle, n'attend pas, n'attend rien.

Elle existe comme sans le vouloir, elle respire, elle ressent l'entêtement de son cœur à battre encore, mais elle ne sait plus du tout le pourquoi de tout ça.

Et cette absence totale à elle-même et au monde dessine autour d'elle comme un pauvre armure de vide.

Vu de l'intérieur, vu de dessous ses cils, c'est une paroi vitrée qui est là, posée entre elle et tout ce qui palpite.

Qui la protège tristement. Qui l'enferme sûrement.

Il lui semble qu'elle pourrait toucher le glacé du verre limpide si elle tendant à peine la main.

Elle n'essaie pas.

Elle voit tout de derrière sa vitre. Elle entend presque bien ceux qui grouillent et se rencontrent. Mais elle est à l'abri de toute sensation.

C'est là l'utilité de la vitre, bien sûr, même si la femme ignore cette mécanique, ses rouages et ses pourquoi.

Elle sait juste qu'elle n'a pas trop mal ainsi.

Le verre armé anesthésie son dedans, interdit toute intrusion sensible du dehors.

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Le dieu amoureux de musique fronce un peu les sourcils. L'artiste reste bien longtemps au bar.

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La patronne a proposé une deuxième bière, différente, plus puissante.

Elle sait bien que la musique ne sera que meilleure si le guitariste se sent au chaud de son accueil. Alors, peu importe le retard pris.

Le musicien lèche la mousse sur ses lèvres et sourit.

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Quelqu'un, juste à côté de la femme, s'esclaffe. Deux amis en goguette, qui enchaînent blagues et souvenirs. Deux hommes. Un peu penchés l'un vers l'autre par dessus leurs verres de Ricard, mais dont les yeux balaient la salle l'air de rien.

On les devine en chasse.

Il sont repéré la solitude de la femme.

Ils hésitent pourtant, en quête de chair plus fraîche, de sourires plus faciles, d'un peu de rose aux joues.

Mais, dans le bar, qui bientôt affichera complet, les jeunesses aux jambes longues et aux dents blanches semblent toutes munies d'un compagnon mâle.

Alors, leurs regards quittent le biais pour oser se planter dans ceux de la femme.

Et dévissent. Car sur son armure de verre se brise le désir.

Elle, elle n'a rien vu, rien ressenti, rien compris.

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Le musicien repose son verre vide. Sa playlist est en place sur son écran tactile. Il s'éclipse vers les toilettes.

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Le dieu, maintenant, tambourine franchement des doigts sur son bureau. Cette attente est trop longue.

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La femme commande un cinquième café.

Son corps est trop lourd pour qu'elle le meuve jusqu'à la porte.

Autant attendre la musique.

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L'artiste a allumé l'ampli et vérifie encore l'accordage de sa guitare.

Et puis...

Un morceau très lent pour commencer. Rythme doux, presque lancinant, teinté de triste et de gai, de toujours et de jamais.

La voix est belle, infiniment. Rauque sur le triste et envolée si haut parfois.

Le chanteur ferme les yeux, entre dans sa musique et se fond avec elle.

Et la musique, peu à peu, le possède. Devient sa seule et puissante maîtresse, qui enchante ses doigts et sa voix.

Le solo est d'un érotisme pur, en notes infimes, détachées puis liées, en crescendo du plaisir à l'orgasme, toujours plus haut, plus fort, plus intense, plus vrai.

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Le dieu, enfin, sourit. Béatement.

L'orgasme de la guitare lui parle du Grand Tout, Wakan Tanka, Usen, tout là-haut.

Si clair, si pur, si intense, si vrai.

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Le bar grouille de monde maintenant, et ceux qui grouillent ne se taisent pas. La musique fait balancer leurs corps sans que s'arrêtent leurs conversations, elle se glisse vers leurs cœurs sans empêcher leurs cris.

Devant les cœurs fermés, elle rebrousse chemin. Mais pour les autres, la moindre faille est prétexte à entrer.

La femme, plus qu'une faille, porte en elle une béance.

Bien à l'abri derrière le verre armé.

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Le musicien enchaîne les morceaux, les rythmes, les ambiances.

Ses doigts inventent mille toucher pour ses six cordes. Sa voix enfle, s'envole, s'éteint, se relance, se module en mille nuances.

C'est si beau, si totalement offert, que le brouhaha a bien diminué, cœurs accrochés par la musique.

Des sourires ont éclos partout, dans la salle qui ondule.

L'échange est en marche. Il crépite dans les applaudissements et les élans de la guitare.

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Le dieu se laisse aller à sa gourmandise, s'en pourlèche le cœur.

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L'armure de verre, peu à peu, s'irise du bleu des notes envolées qui s'unissent à elle. Et elle laisse entrer, pour la première fois, un souffle de vie doux et immense.

Et la femme, incrédule, sent le blues vibrer en elle.

Il rejoint ses chagrins, ses terreurs, et puis les illumine et les transcende, les pare des couleurs de l'intense et les balaie enfin, joyeusement, d'un revers de tremolo, pour donner toute la place au ciel bleu.

La femme reste là, éblouie dans l'enchantement du cadeau que l'artiste lui offre sans le savoir vraiment.

Sensation très étrange, magie puissante de l'instant, la vie lui semble couler à nouveau dans ses veines, au rythme des notes, au vibrant de la voix.

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Le dieu sent une larme de quiétude perler à sa paupière.

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La patronne du bar est contente. Les clients hochent la tête, tapent du pied, battent des mains, chantonnent, hurlent, sifflent d'enthousiasme, applaudissent à tout rompre. Et commandent moult boissons alcoolisées.

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Le musicien chante les yeux fermés, son pied tape le rythme, tout son être est entré en musique.

La guitare frémit sous ses doigts à la fois tendres et ardents.

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Les filles de l'assistance rêvent, au moins fugacement, que ces doigts-là se posent sur leur peau. Elles frissonnent d'un désir que récoltera peut-être leur ami de ce soir.

Certaines ondulent langoureusement.

Il en est même une pour venir se déhancher juste devant le micro, le bassin en avant, l'oeil lubrique, la bouche humide et gourmande.

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Le musicien n'a pas besoin d'ouvrir les yeux pour la savoir ici.

Il hume le parfum âcre de la sueur et du désir.

Ses doigts courent plus vite encore sur le manche de sa guitare.

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Le dieu mélomane a lui aussi fermé les yeux. Par les notes il entre en communion avec la vie.

Et il en aime aussi l'odeur musquée.

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La femme ne croyait plus à rien jusqu'à cet instant, avait oublié même le goût d'une sensation.

Elle s'étonne sans fin du tressaillement dans sa poitrine, se prend à écouter son cœur.

Elle sent sa bouche close s'entrouvrir dans un premier sourire.

Une onde de vie la parcourt.

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Le dieu sait bien les vertus immenses de la musique.

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La femme a fermé les yeux à son tour pour mieux encore ouvrir son cœur.

Dans son premier sourire elle accueille le cadeau inespéré.

En elle coule une lumière douce, une vibration tendre, le vibrato de la vie, porté par le blues sans fard de ce garçon aux yeux clos blotti au cœur de sa musique et l'offrant au monde pour que d'autres s'y blottissent à leur tour.

A ce moment précis, il n'est que musique.

Plus tard, quand on lui demandera pourquoi il aime tant jouer dans les bars, il dira sans aucune gloriole que c'est une façon pour lui de donner sa musique à qui pourrait en avoir besoin sans le savoir.

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Le dieu s'extrait enfin de sa pure gourmandise pour se pencher sur le bar qui en est la source.

Il voit la femme.

Une petite pointe de jalousie le traverse... la musique du bluesman aurait-elle la puissance d'un dieu ?

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Sous les yeux du dieu mélomane, la femme, paupières closes et sourire étonné, se met à battre la mesure du bout du doigt, puis des deux pieds.

Son corps, peu à peu, se laisse aller à une ondulation douce.

Elle savoure cet élixir de vie qui se rit de son armure de verre pour s'enfoncer toujours plus profond en elle et réveiller son âme qu'elle avait crue morte.

La femme se laisse emporter totalement par ce ravissement, cette magie, cet enchantement inespéré et délicieux.

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Le dieu mélomane se raisonne et refoule au loin la jalousie entraperçue... depuis quand un dieu serait-il jaloux ?

Il lui faut plutôt remercier le musicien.

Alors, il étend sur lui une main paternelle et invisible, et, d'un sourire, il ajoute une étincelle divine à la déjà si belle densité de sa musique.

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Une larme paisible roule sur la joue de la femme.

En elle, avec la vie, entre sur la musique comme un souffle divin.

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Le musicien a ouvert les yeux, c'est l'heure de la pause.

Il revient au monde, au bar, comme ébloui.

Aucun mot ne lui vient, mais un sourire très doux.

Et puis il va au bar commander une bière.

A Périgueux, le 16/07/2017

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