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J'ai cris - J'écris

J'ai cris - J'écris

J'ai cris... J'écris... depuis bien longtemps... Jamais publiée... jamais dans "la ligne éditoriale"... Mauvaise, alors ?.. peut-être... ou pas... Voici donc quelques textes venus de mon cœur, de mon âme, et puis de mon travail aussi, stylo et clavier... A vous de décider ce que vous en pensez !


LE BRUIT DES BOTTES

Publié par Cat L sur 19 Février 2017, 23:57pm

 

Il est tapi, terré, recroquevillé, tassé sur lui-même comme un animal terrorisé. Il pue : ses aisselles comme ses aines, son dos, son cou, poissent d’un liquide âcre et épais, une sueur ruisselante et glacée. Il tremble si fort que ses dents s’entrechoquent.

Il est devenu une bête, une proie, le cerveau paralysé par la terreur, le cœur emballé de panique. Au fond du puits de ses pupilles, tout grand béant sur l’obscurité, on ne voit de lueur que celle de la mort annoncée.

Il est la peur incarnée, fragile comme une herbe ou comme un nouveau-né, et tout entier tendu vers le seul but de sa survie.

 

 

Les bottes des soldats frappent un roulement syncopé sur le pont, elles grondent au rythme de la peur qui à chaque pas s’enfonce un peu plus dans son âme. Elles le piétinent, le laminent, l’anéantissent dans l’écho sans fin de leur puissance armée.

Sous le pont il n’est plus qu’une aspérité du pilier, plus qu’une vaine sculpture faite de vase et de terreur, toute entière appliquée à se fondre dans la pierre.

 

 

Il va mourir, c’est sûr. Il explosera en même temps que le pont et les soldats. Il sent déjà s’arracher de son corps chaque membre, chaque morceau de sa chair ; il devine le jaillissement de sa cervelle et le sang qui gicle de chaque pore de sa peau. Il sait que c’est pour bientôt.

Alors, il pleure.

 

 

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A seize ans, pour s’être cru un homme, Jonas avait ainsi vécu la terreur totale de qui agonise, et peut-être de qui vient au monde.

Aujourd’hui, malgré le sourire de ses soixante-seize ans, il lui reste le bruit des bottes. Au plus profond de son cerveau.

 

 

Et ce bruit roule et gronde chaque nuit sur son cœur dont le rythme se syncope.

 

 

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Il n’est donc pas mort cette nuit-là sous le pont de pierres.

Il a raté son attentat, il a raté son agonie, il a réussi à survivre à sa peur.

 

 

Alors il a pu mener sa vie d’homme et vieillir jusqu’à aujourd’hui. Il a aimé des femmes, en a épousé une, a élevé trois fils et gâte ses petits-enfants.

C’est un homme ordinaire.

Jamais il ne dit un mot de la guerre, de sa guerre et de ses seize ans violés et assassinés dans la nuit.

 

 

Reste le bruit des bottes.

Et lui seul l’entend.

Chaque nuit.

 

 

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Et l’idée, obsédante, que s’il était mort cette nuit-là, si le bruit des bottes s’était tu dans l’explosion, peut-être alors son petit frère aurait été épargné, et le village peut-être serait encore debout.

 

 

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Ou ç’aurait été pire.

 

 

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Reste le bruit des bottes.

 

 

A la Guibaudie, le 1° Octobre 2000

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