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J'ai cris - J'écris

J'ai cris - J'écris

J'ai cris... J'écris... depuis bien longtemps... Jamais publiée... jamais dans "la ligne éditoriale"... Mauvaise, alors ?.. peut-être... ou pas... Voici donc quelques textes venus de mon cœur, de mon âme, et puis de mon travail aussi, stylo et clavier... A vous de décider ce que vous en pensez !


BLEU CHIMERE

Publié par Cat L sur 6 Août 2016, 15:46pm

Dedans ses yeux, il y a le ciel. Maman l’a dit souvent et maman ne ment pas. Elle le disait avant, avant le grand silence.

Ils ont chuchoté qu’elle était malade et ils l’ont emmenée. Maman est quelque part, en un lieu interdit aux enfants.

Dedans ses yeux, il y a le ciel.

Alors, quand la maîtresse a proposé de fabriquer les costumes de carnaval, Colin a su tout de suite qu’il serait un oiseau. Un oiseau qui vit dans le ciel et que rien ne peut empêcher de voler jusqu’aux lieux interdits.

Ca lui a pris du temps. Quand tous les autres avaient fini, lui travaillait encore, un bout de langue rose au coin des lèvres. Madame Lucas a donné les plumes de poule et de pigeon, pépé a offert deux rémiges de paon et Bertille, l’aide-maternelle, a découpé en fines barbes des catalogues et du crépon. Colin assemble, colle, recouvre, superpositions engluées et brillantes. Colin réinvente l’oiseau.

Vient un jour où, sous l’assemblage disparate, on ne voit plus que deux yeux d’enfant d’homme. Tout le reste est oiseau de chimère, tunique où disparaît Colin et qui bruisse quand il ouvre les ailes. Juste deux yeux si bleus. Presque incongrus.

« Dedans tes yeux, il y a le ciel », et la main de maman, si douce, qui ferme ses paupières, éloignant le vertige.

Colin a eu le premier prix et pépé a applaudi quand il est monté sur la scène.

Pourquoi l’ont-ils félicité ? Qui parle de déguisement ? Colin sait bien qu’il porte aujourd’hui les vraies couleurs de sa vie.

Il s’entraîne à ne pas ciller. Les oiseaux ne cillent pas.

Dedans ses yeux, il y a le ciel.

Pétassou a brûlé, carnaval reviendra. Mais pépé ne trouve plus Colin.

Les soirs de fête, à la campagne, les gosses vont et viennent, piaillent en courant d’une maison à l’autre, se poursuivent sur la place de l’église, se glissent dans quelque cave. Les vieux attendent que la faim leur rende leurs marmots.

Mais Colin ne revient pas.

Colin n’existe plus. C’est un enfant-oiseau qui se blottit dans le clocher. Bruissent ses ailes dans le noir. Ses yeux ne cillent pas.

Le voici tout en haut. Le ciel est noir.

Colin s’envole vers les lieux interdits.

« Il faisait nuit déjà, brigadier. Non, personne ne l’a vu tout là-haut…Vous pensez bien, on l’aurait pas laissé sauter, on aurait fait quelque chose, je sais pas moi. Non, il y a eu un drôle de bruit, comme un froissement de papier. Et puis le gros boum, le corps qui s’écrase au sol. Il a pas crié, pas fait un son avec sa bouche, même pas dans le grand vide, vous comprenez ça vous ? On a juste entendu ses ailes en papier, mais on savait pas que c’était ça, et tout de suite le choc terrible. Vous savez, on était devant le bar, juste au pied de l’église. Il est tombé à pas dix mètres de nous… »

« Quand on est arrivés auprès de lui, il était tout écartelé sur le bitume, ses ailes en couleurs ouvertes autour de lui. Mais, vous savez, le plus terrible c’était ses yeux. Il avait les yeux grand ouverts. Des yeux si bleus. Si bleus… »

Oiseau de rêve, enfant-chimère, Colin n’est plus que deux yeux bleus, si bleus, ouverts tout grand dans un corps immobile. Il n’y a que le bruit des machines-à-vivre. Colin ne bougera plus, ne parlera plus.

Il est en un lieu interdit aux enfants. Où seuls brillent ses yeux de ciel.

Oiseau-chimère, enfant perdu.

La médecine, sans humour, a enfermé Colin dans un lit-cage.

( à la Guibaudie, le 18 Novembre 1995)

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